Association pour le développement de l'enseignement bi-/plurilingue

Bibliothèques sans frontières, "L'Ecrivain face à la catastrophe"

Bibliothèques sans frontières (BSF) célèbre ses 5 ans d'actions dédiées au soutien des Bibliothèques de par le monde "dans leur rôle de vecteur de savoir et d'éducation".

Ce soutien prend la forme de dons de livres et d'un accompagnement de l'ensemble de la chaîne du livre. Pour BSF, "il s'agit d'une part de permettre aux filières du livre du Sud de sortir des relations de dépendances les liant aux acteurs de la coopération du Nord, notamment à travers le don de livre" et d'autre part de permettre "l'appropriation par les populations" des pays du Sud "des moyens de production de discours et de savoir à travers l'écrit et l'édition."

A l'occasion de son 5e anniversaire, BSF organise un cycle de conférences tout au long de l'année 2012. Ce cycle s'est ouvert le 14 mars avec une rencontre-débat intitulée "L'écrivain face à la catastrophe. Lire et écrire pour se reconstruire" en présence de Mimi Barthélémy, conteuse (Haïti-France) ; Dany Laferrière, écrivain (Haïti-Canada) ; Jean-Christophe Rufin, écrivain, diplomate et membre de l'Académie Française (France) ; Ryoko Sekiguchi, écrivain (Japon). BSF a commencé par présenter un bilan de ses actions et ses projets avant de passer la parole aux quatre intervenants. Patrick Weil, Président et fondateur de la BSF, a insisté sur la nécessité de proposer et d'intégrer une dimension culturelle dès les premières phases des interventions d'urgence.

L'écrivain face à la catastrophe

Le débat s'est principalement centré sur deux questions : "Que reste-t-il quand tout est tombé ou que la mer a renversé la terre ?" et "En quoi la littérature en tant que processus créatif, peut-elle aider à faire le deuil du désastre et contribuer à reconstruire demain ? ".
Pour Dany Laferrière, l'écriture était un moyen de survivre lors du séisme qui a secoué Haïti en janvier 2012. Poser des mots sur son carnet, raconter, c'était aussi se protéger. Narrateur, l'auteur haïtien devenait "celui qui regarde". En imaginant ce qui se passait ailleurs, en essayant de "se mettre à la place de", il pouvait aussi "répondre au sentiment d'urgence" qui l'envahissait. C'est ainsi qu'il a écrit Tout bouge autour de moi en 3 mois. Ecrire pour soi et pour les autres, c'est aussi ce sentiment qui a poussé Ryoko Sekiguchi à prendre la plume après la catastrophe de Fukushima. L'auteure japonaise découvre les images du tremblement de terre à la télévision alors qu'elle est à Paris. Très vite, elle a le sentiment que la catastrophe nucléaire fait tomber dans l'oubli les disparus et la destruction d'une région entière. C'est ce qui la pousse à dépasser la douleur d'écrire sur le drame de Fukushima. Ryoko Sekiguchi parle de son livre Ce n'est pas un hasard comme d'un livre "d'apprentissage". C'est la première fois qu'elle écrit sur un sujet qui ne lui "appartient pas" en ce qu'il ne relève pas seulement de son intimité. Le sujet s'est imposée à elle.

La littérature au lendemain de la catastrophe

La conteuse haïtienne Mimi Barthélémy est allée dans les camps de réfugiés, dans les villages reculés. C'était un moyen de continuer à faire vivre les contes chantés, tradition d'Haïti, sur l'archipel et aussi de dire "le bonheur d'être vivant". Elle a raconté comment au grès des rencontres, elle a découvert une culture orale riche et partagée par tous : les enfants répondaient à ses contes chantés par d'autres contes. Ces instants semblaient leur offrir un moment de répit et permettaient un dialogue intergénérationnel.
Pour Ryoko Sekiguchi, la littérature est nécessaire dans ces moments de grande souffrance : que faire sans livres dans un camp de réfugiés ?  L'attente y est interminable. Les mots d'un autre peuvent-ils apaiser nos propres maux ? C'est ce dont Ryoko Sekiguchi est convaincue quand elle parle de l'engouement des Japonais pour le livre de Dany Lafferrière au lendemain de la catastrophe. De son côté, l'écrivain haïtien voit dans cette soif de lecture un moyen d'échapper à une "matérialité asphyxiante".

Notes

1. Dany Laferrière, Tout bouge autoir de moi. Editions Grasset, 2011
2. Ryoko Sekiguchi, Ce n'est pas un hasard. Chronique japonaise. Edition P.O.L, 2011